L’école et la liberté

Jean-Noël Dumont, professeur de philosophie

Liberté du choix de l’école pour les familles

La liberté d’enseignement est le plus souvent soutenue au nom de la liberté des familles, du libre choix de l’école comme droit fondamental. Cela suppose que, bien qu’on la lui ait souvent disputée, la famille a la responsabilité de l’enfant avant l’Etat et au-delà de l’Etat qui ne peut intervenir qu’au cas où la famille se montre insuffisante. C’est le principe de subsidiarité. Il n’y a pas à avoir de suspicion préalable sur la mauvaise influence qu’une famille pourrait exercer, en revanche il y a beaucoup à craindre pour un enfant qu’on aurait désolidarisé de sa famille. On connaît le mot de Jules Ferry : que l’instituteur ne dise rien qui puisse choquer l’honnête père de famille. Le propos est juste et noble mais un peu naïf, car il trahit que l’école républicaine pouvait être confiante en ses vertus tant qu’elle s’appuyait sur un consensus inaperçu. L’instituteur était au cœur d’une communauté homogène, volontiers moralisante et passablement cocardière. Celui qui retrouve les mêmes mots chez lui et à l’école ne voit aucune violence, il n’en va pas de même pour celui qui éprouve une forte contradiction et est fondé à demander au nom de quoi violence lui est faite.

Le propos de Jules Ferry pourrait encore signifier que l’école ne transmet que des connaissances éprouvées et objectives, qu’elle ne fait qu’instruire aussi parlait-on de l’instruction publique. Mais on voit assez que l’instruction est inséparable de l’éducation parce qu’il faut discipliner les corps pour instruire et parce qu’il faut parler. Une parole choisit, éclaire, souligne et émeut. Le corps et la parole, cela fait toute l’éducation ! Aussi parle-t-on plus justement d’éducation que d’instruction. Or Si l’instruction peut être obligatoire, on ne peut refuser aux familles d’avoir un regard sur l’éducation. D’où la liberté de choix de l’école.

 

Liberté du choix de l’école pour l’enseignant

Je crois cependant qu’on peut penser la liberté d’enseignement en partant d’un autre centre : qu’en est-il de la liberté de l’enseignant ? On n’y songe guère. Il semble aller de soi qu’il doit agir en fonctionnaire mettant son honneur dans son abnégation, que tous ont le même talent dans une même catégorie, qu’il enseigne les programmes centralisés et suit les pédagogies en haut concoctées. Il ne peut choisir l’établissement où il exerce, sinon en jouant de combinaisons patientes où les esprits s’usent et les coudes aussi. Il faut alors poser la question, il faut la poser avec force puisque apparemment cette situation n’étonne personne : la vie de l’esprit peut-elle être éveillée par des âmes rendues dociles par un jeu impersonnel de mutation et de promotion ? Par bonheur cela arrive encore souvent. Mais n’est-ce pas malgré le système plutôt que grâce à lui? On ne peut décréter ni centraliser l’invention, le service, la générosité. Cela naît d’esprits libres. On veut former les enfants à la responsabilité, au civisme à la démocratie. Le fera t’on en les mettant face à une administration ? Il faut partir du cœur de l’école, c’est-à-dire de la relation de l’enseignant à l’élève. Cette relation n’est libérante que si l’adulte est lui même un homme libre. Ainsi la liberté de l’enseignement est-elle d’abord la liberté d’enseigner et, par là, la liberté de l’enseignant. Qui peut avoir peur de cette liberté ?

Il est temps que s’accomplisse la prophétie de Michelet (1) : « l’enseignement un jour aura mille formes. La liberté sera féconde. Des instituts très différents répondront aux mille exigences, aux nuances infinies de la nature. »

(1) dans De l’école comme propagande civique et comme échelle sociale.