Des notes et des examens

Père Marc Perrot, directeur de Sainte-Marie Lyon de 1966 à 1999

Comment, à travers le détail de nos jugements, de nos décisions et de nos choix, être fidèle à notre mission éducative ? Comment situer les problèmes éducatifs par rapport à leur vocation et non d’abord comme des procédés d’adaptation à la société actuelle ?

Le début des vacances est marqué pour beaucoup par des soucis d’examens, d’inscriptions, de choix d’orientation. N’est-ce pas l’occasion de faire part de quelques réflexions faites au cours de cette année à l’issue de conversations avec les parents ou les élèves ?

L’interrogation centrale sous-jacente à cette réflexion est simple : comment, à travers le détail de nos jugements, de nos décisions et de nos choix, être fidèle à notre mission éducative ? Comment, lorsque nous parlons au jour le jour d’examens, d’inscriptions, de redoublements, de notes, de coefficients, d’orientation, de formation chrétienne, reconquérir notre liberté de jugement pour aimer en vérité et respecter les enfants que Dieu nous confie ? Comment les faire croître, les aider à devenir libres, capables de décider dans la générosité de leur avenir d’hommes? Comment situer les problèmes éducatifs par rapport à leur vocation et non d’abord comme des procédés d’adaptation à la société actuelle ?

N’est-ce pas chaque jour qu’il nous faut redécouvrir, dans le détail de tâches apparemment banales et bien situées dans la société existante, ce que signifie notre espérance en la créativité de l’homme ? Ces jeunes auront à constituer la société de demain par leur intelligence et par leur cœur, par leur capacité d’insérer leur visée essentielle dans leurs responsabilités quotidiennes : quelle indépendance de jugement, quelle volonté et quelle générosité leur seront nécessaires pour répondre à l’appel de Dieu en vérité, c’est-à-dire dans la réalité de l’histoire !

L’examen est souvent considéré comme un but – et non comme un contrôle latéral – sans souci des études et des développements ultérieurs. Certes il faut réussir ses examens ; si, dans cette réussite sont en jeu des capacités d’affrontement psychologique d’un certain jugement social, n’est-ce pas l’occasion d’apprendre aux jeunes l’importance d’assumer une contrainte essentielle de leur responsabilité qui est la reconnaissance de la responsabilité des autres et de la consistance organique de la société ? Il faut se rendre capable de passer l’obstacle ; sans cela, tout langage devient équivoque. La chance ! elle n’existe pas à long terme, à moins précisément qu’elle signifie une plasticité de l’être à la réalité globale dans laquelle il est inséré, une mise en équilibre harmonieuse par rapport à l’interrogation signifiée dans l’examen : à ce titre, elle exprime une valeur de l’individu et non une fatalité des événements. Les échecs accidentels ? Il y en a quelques-uns, comme il y en aura d’autres dans la vie ; est-on toujours assuré par ailleurs qu’ils ne renvoient à ces problèmes d’équilibre et de maîtrise psychologique qui nous obligent à ouvrir tout test de niveau scolaire sur un au-delà du scolaire pur ou plutôt à réaliser combien l’être entier est présent à chacune de ses activités particulières ?

Réussir un examen c’est passer l’obstacle, mais surtout s’engager, à partir d’un « donné » culturel, d’une culture reçue – le langage, les nombres, la science acquise… – vers un monde d’hommes où la culture est « à faire », comme la liberté ; ce qu’une génération transmet à la suivante, c’est la capacité « d’aborder » les problèmes de l’homme, mais celle-ci reste, si modestement que ce soit, livrée à elle-même, à la force qu’elle saura engendrer, pour énoncer à nouveau ces problèmes, pour les vivre. Les examens ouvrent peut-être aux situations mais celles-ci livrent l’homme à sa responsabilité. Le non-redoublement d’une classe ou l’inscription au collège, à acquérir coûte que coûte, comme une faveur – que les difficultés soient d’ordre scolaire ou d’ordre spirituel – apparaissent d’étranges requêtes si, d’accord avec les parents, nous gardons comme ligne d’interrogation cette croissance profonde de l’enfant dans laquelle doivent être respectées d’une part la consistance parfois rude des différentes disciplines, d’autre part la maturation globale du jeune qui incorpore ses conditionnements individuels et sa liberté, réalités dont nous ne sommes pas maîtres.

L’orientation ? Il est, me semble-t-il, un mal étrange de notre époque. D’une part de traiter les problèmes éducatifs d’abord à partir de la diversification des sections : s’il est nécessaire de choisir des études possibles pour chaque enfant et de ne pas se contenter en cas d’échec de faire appel au manque de travail, à la paresse, à la mauvaise volonté, on semble parfois oublier qu’une des raisons majeures des difficultés scolaires est un manque d’amour et d’attention inlassablement renouvelé vis-à-vis de chaque jeune.

Combien de fois entend-on : « Il « doit » faire telle section parce qu’il veut être ingénieur, médecin… » ou, d’une autre manière : « Je ne sais quelle section choisir pour mon fils parce qu’il ne sait pas encore ce qu’il veut faire. » Il me semble que l’orientation au moins dans le secondaire, consiste tout simplement à chercher, étant donné les capacités de l’enfant, la section la plus ouverte possible, c’est-à-dire celle qui lui offre le choix le plus vaste au niveau des études supérieures. Les décisions de spécialisations n’ont guère à se formuler durant le secondaire parce que le jeune ne peut, sauf cas très rares, imaginer de façon assez précise la voie dans laquelle il s’engage et parce qu’à son égard notre responsabilité n’est pas d’abord de le « caser » quelque part dans une société existante mais de l’aider à se décider vis-à-vis d’une société qu’il aura à constituer, avec toute sa créativité en partie imprévisible, inattendue. A ce sujet, je suis aussi frappé de l’utilitarisme de certains choix scolaires, par exemple pour les langues vivantes ; l’étude de celles-ci dans le secondaire n’est pas d’abord ordonnée à leur valeur marchande dans le monde du travail ; ce point de vue ne peut être que second, sous peine de ne pas définir le jeune d’abord par rapport à lui-même.

Peut-on rappeler en terminant combien l’intelligence mise enjeu dans l’effort scolaire n’est pas le tout de l’intelligence et combien l’intelligence n’est pas le tout de l’homme ? C’est pourquoi le temps des vacances a son aspect privilégié dans la croissance des jeunes : si l’on ne peut se permettre de jouer avec les études, il n’est guère possible de devenir un homme si l’on n’aime jouer. A travers toute croissance, ce qui est visé est une présence à l’autre et au monde qui transcende tout savoir ou, du moins, qui suppose que lentement ce qui est livré dans la culture s’incorpore à la force de la vie, aidant cette violence initiale à devenir langage, lieu de rencontre, de projet et d’accueil.